«Les deux tours»: la fulgurance de l’expérience orchestrale
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Christophe Huss
2 mars 2020
C’est un phénomène. En deux soirées et une matinée, 9000 personnes sont venues entendre le concert de 3 heures et demie d’un orchestre symphonique et de choristes adultes et enfants, totalisant 250 musiciens. Et le chef Shih-Hung Young a été acclamé plus que n’importe quelle vedette huppée de la baguette. L’Orchestre et le choeur FILMHarmonique présentaient Les deux tours, le deuxième film de la trilogie Le seigneur des anneaux à la salle Wilfrid-Pelletier. Ah, c’est le film qui a été applaudi, nous direz-vous ! Ce n’est pas tout à fait cela et ce n’est pas aussi simple que cela : c’est de l’expérience vécue et de la qualité de cette expérience qu’il convient de discuter ici.
Une tendance lourde
La présentation de films avec orchestre sur scène est une tendance lourde du marché du divertissement. Elle tire son origine d’un phénomène mécanique. Les contrats des institutions symphoniques avec leurs musiciens leur assurent un nombre de semaines qui, désormais, ne peuvent plus être remplies que par des concerts classiques. Comme il n’y a pas assez de demande, il faut diversifier l’offre, d’où la programmation de soirées avec des chanteurs populaires et, aussi, des films accompagnés par l’orchestre en direct (prochainement La ruée vers l’or de Chaplin à l’OSM).
L’idée de trois très jeunes entrepreneurs québécois, Gabriel Felcarek, Francis et Nicholas Choinière (GFN Productions) a été de surfer sur ce phénomène et de constituer une compagnie entièrement consacrée au genre, organisant des saisons de films ainsi accompagnés en direct : Fantasia, Star Wars, Titanic, Le seigneur des anneaux…
Le danger de l’entreprise serait le bricolage ou la médiocrité musicale. Absorbé par les images on est tolérant à bien des choses… L’enjeu, si les astres s’alignent, est une conquête majeure : démystifier auprès d’un public « non classique » ce qu’on peut appeler « l’expérience orchestrale ». C’est très exactement ce qui s’est passé avec Le seigneur des anneaux en cette fin de semaine.
Le premier avantage par rapport aux spectacles équivalents, vus par exemple à l’OSM, est la taille et le positionnement de l’écran. Il est ici très grand et juste au-dessus du chef, ce qui change tout. On n’a pas un gros orchestre qui illustre une « petite » image, mais un univers totalement cohérent. L’orchestre est amplifié, mais avec goût et parfaitement pour coller au niveau des bruitages, réduits, et des dialogues (une projection en anglais sous-titrée). Les questions d’équilibre, desquelles découle la crédibilité, sont pensées et résolues avec cohérence.
Les musiciens sont excellents. Menés par Olivier Thouin, violon solo associé de l’OSM, ils font de la vraie musique orchestrale, pas du bricolage sonore, de même que les choeurs, très bien préparés. Le point faible de ces projets est parfois le chef. Celui-ci, Shih-Hung Young, rompu à l’exercice, est très compétent : sur un écran devant lui, au-dessus de la partition défilent des signaux : un trait vertical pour le début des interventions musicales, plus des points pour la mesure. Shih-Hung Young est impeccable et sa gestique est claire.
Le substrat musical de Howard Shore, quasi continu, efficace et spectaculaire fascine les spectateurs, qui observent un silence respectueux avant d’exploser en ovations délirantes. Comment cette ferveur envers l’expérience orchestrale qu’ils viennent de vivre peut-elle être canalisée en habiles passerelles par les institutions symphoniques ou les festivals ? Les trois petits malins de GFN Productions auront sans doute des idées avant d’autres !
Le seigneur des anneaux — Les deux tours
Musique de Howard Shore. Film de Peter Jackson (en version originale sous-titrée). Kaitlyn Lusk (soprano), Les Petits Chanteurs du Mont-Royal, Choeur et Orchestre FILMHarmonique, Shih-Hung Young. Salle Wilfrid-Pelletier, samedi 29 février 2020.